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Version 3.10

Que le show commence !
Voilà un thème qu’on ne croise pas à tous les coins de rue dans le monde du jeu de société. À force d’enchaîner les jeux de gestion dans des univers médiévaux, agricoles ou futuristes, on finit par avoir envie d’autre chose, de nouveauté, d’originalité. Et c’est là que Rock Hard 1977 tire clairement son épingle du jeu : il plonge dans un univers rarement exploré, celui du show business musical, avec tout ce que cela implique de galères, de rêves de gloire et de dépendances.
Dans ma ludothèque, j’ai déjà des jeux qui osent des thèmes de niche comme la prison, le golf… Mais aucun n’avait jusqu’ici réellement osé s’attaquer à l’industrie musicale dans sa version la plus brute, la plus rock.Ici, on n’incarne pas une star internationale, mais un artiste qui doit littéralement survivre pour exister et devenir célébre : répéter, enregistrer une démo, chercher de la thune, promouvoir son son, et croiser les doigts pour signer quelque chose.
Et le plus fort, c’est que ce n’est pas juste un vernis : le thème est partout. Il transpire dans les illustrations, les cartes événements, les objets, la progression du personnage, la montée en tension… Tout est pensé pour coller à cette ambiance rock poisseuse des années 70. Et c’est justement cette cohérence thématique qui donne envie d’y revenir, de s’y plonger à fond, et de voir jusqu’où on est prêt à aller pour atteindre la scène.

24 pages de règles, c’est quand même pas rien. Pour vous donner une idée, entre le moment où j’ai retiré le cellophane de la boîte, lu les règles, monté et rangé tout le matériel, j’en ai eu pour plus de deux heures. Rien que pour ça, on peut dire qu’on est clairement sur un jeu « expert ».
Et pourtant, une fois passé le cap de la première lecture, c’est plutôt bien structuré. Le livret annonce d’ailleurs que « normalement, tout est indiqué » pour éviter toute zone d’ombre pendant la partie. Alors oui, pourquoi pas. Mais il faut quand même s’accrocher au début : la première lecture peut donner un léger mal de crâne.
Le livret est organisé autour des trois moments de la journée qui composent un mois (jour, soir, nuit), chacun avec son propre code couleur. C’est bien pensé, car on retrouve facilement les infos sans avoir à tout feuilleter en boucle.
Le mode deux joueurs est aussi bien géré : il faut simplement simuler un troisième joueur à l’aide d’une carte qui indique où placer des cubes en fonction du mois en cours. C’est simple, rapide, et ça fonctionne.
Enfin, le livret propose quelques conseils pour les débutants. Bon, ils ont le mérite d’exister, mais comme souvent, ce sont des astuces assez basiques, voire évidentes.
Au final, même si le nombre de pages peut faire peur, une lecture en diagonale suffit pour y voir un peu plus clair. Comme dans 99 % des jeux, en fait.
Incarnez un jeune musicien ambitieux des années 70, rêvant de percer. Votre objectif est simple : devenir l’artiste le plus populaire de l’année en cumulant des points de Popularité grâce à des concerts, des répétitions, de la promo, des virées nocturnes… et quelques bonbons un peu douteux.
Comment ça se passe ?
Imaginez que chaque manche du jeu représente un mois, d’avril à décembre 1977. Pendant ces mois, vous allez faire évoluer votre personnage à travers trois moments clés : la journée, la soirée et la nuit. À chaque phase, vous allez placer votre pion sur un lieu pour y effectuer une action.
Phase de Jour
Pendant la journée, vous pouvez :
- Travailler pour gagner un peu d’argent, selon votre Job
- Répéter en studio pour améliorer votre Technique
- Écrire une chanson pour booster votre stat Chanson
- Donner une interview radio pour gagner de la Réputation
- Engager un technicien (utile pour les gros concerts)
- Signer un contrat d’enregistrement (si vous avez une Démo et de bonnes stats)
Chaque action se fait en posant son pion sur un lieu disponible. Et attention : certaines actions ne sont possibles que si vous avez les bonnes stats, un certain nombre de techniciens, ou une Démo.
Phase de Soir
Le soir, on peut :
- Donner un concert (si vous remplissez les conditions)
- Participer à un concert improvisé (accessibles à tous)
- Répéter à nouveau
- Ou retourner travailler, si votre Job le permet.
Les concerts sont le cœur du jeu : ils vous rapportent de la Popularité et parfois des récompenses spéciales. Mais vous ne pouvez en donner qu’un seul par manche.
Phase de Nuit
C’est la partie la plus… rock ‘n’ roll ! 😎
Trois options ici :
1. Sortir en virée nocturne dans un lieu branché : vous piochez une carte avec un effet immédiat ou des souvenirs à collectionner.
2. Enregistrer une démo (utile pour signer un contrat plus tard).
3. Vous coucher tôt pour avoir la priorité au prochain tour.
Si vous allez dans un lieu branché très à la mode, vous gagnez tout de suite des points de Popularité !
Les Bonbons (et l’addiction)
Vous pouvez manger un bonbon avant de jouer pour avoir une action en plus dans le tour. Très pratique… mais risqué !
Quand vous en consommez un :
- Vous piochez une carte “pic glycémique” (avec bonus ou pas)
- Votre addiction au sucre augmente
- Vous lancez un dé : si vous faites moins que votre niveau d’addiction… vous tombez en hypoglycémie !
Si cela vous arrive, vous devez aller en Détox au tour suivant et vous perdez des points si c’est toujours le cas en fin de partie.
Phase d’entretien (fin de manche)
À la fin du mois :
- Vous touchez vos Royalties si vous avez un contrat
- Vous payez votre Agent (sinon vous perdez de la Popularité)
- Vous mélangez les cartes bonbons utilisées
- Vous réattribuez les lieux branchés
- Et vous passez au mois suivant
Quand la fin de partie arrive...
La partie prend fin :
- soit à la fin du mois de décembre (9 manches)
- soit dès qu’un joueur atteint 50 points de Popularité pendant une manche
On termine alors la manche, puis :
- On ajoute les points liés aux Bonus publics de fin de partie
- On révèle les Objectifs personnels (et on gagne les points correspondants)
- On gagne aussi des points si on a poussé ses stats au max
-On marque des points avec les sets de souvenirs (4 différents ou 4 identiques)
Le joueur avec le plus de points de Popularité gagne la partie et devient la Rock Star de l’année 1977 !




On ne va pas se mentir : ce qui sauve principalement le jeu, c’est son thème, rarement exploré dans le monde des jeux de société. Et il est ici bien utilisé, sans tomber dans le trop-plein de détails. Le plateau est divisé en trois zones, jour, soir et nuit, avec une zone bonus accessible à tout moment de la journée. Ce découpage permet de ne pas être submergé d’informations. Lors des premières parties, on peut ainsi se concentrer sur une zone à la fois, ce qui rend la prise en main bien plus fluide.
Une mécanique de pose d’ouvriers très classique
Côté mécanique, on est sur de la pose d’ouvriers très classique. Le plateau est recto-verso pour s’adapter au nombre de joueurs, et cela permet de conserver une certaine tension dans les choix d’actions : la plupart des emplacements n’acceptent qu’un seul pion, premier arrivé, premier servi.
Une stratégie vite balisée
Au fil des parties, une stratégie assez linéaire s’installe. On identifie vite les étapes incontournables : produire une démo (qui se réalise uniquement dans la zone “nuit”), trouver les fonds nécessaires (en travaillant ou… en donnant son sang par exemple), puis tenter de signer un contrat ou de promouvoir sa musique en indépendant.
Mais attention : pour réussir, il faut aussi monter ses trois stats : technique, réputation et chanson, afin de débloquer les meilleures opportunités : remplir les plus grandes salles (si vous avez assez de techniciens) ou décrocher un contrat d’édition rentable avec des royalties mensuelles.
Les bonbons : une mécanique risquée mais puissante
Un point vraiment original : les “bonbons”, qui ne sont ni plus ni moins que de la drogue. C’est une mécanique très maligne, car le jeu vous pousse à les utiliser : 9 mois dans une partie, avec seulement 3 actions par mois, ça file à toute vitesse. Les bonbons permettent de tenter une action supplémentaire… au prix d’une montée de votre niveau d’addiction. Vous lancez un dé : si le résultat est inférieur ou égal à votre niveau d’addiction, alors, le mois suivant, direction la désintox, et vous perdez une action. Cette tension constante entre gain immédiat et conséquences à moyen terme est très bien pensée.
Votre boulot ? ou votre vie de rockstar ?
L’argent, dans ce jeu, est une vraie galère. Vous n’allez jamais crouler sous les billets. Vous avez plusieurs moyens d’en gagner, mais le plus important reste votre “job”, attribué aléatoirement en début de partie. Ce job vous assure un revenu, à condition de travailler… sauf que travailler vous fait perdre une action. Vous devrez donc choisir : gagner votre vie ou faire décoller votre carrière. Attention : trois absences, et vous perdez définitivement votre emploi.
Une zone de nuit un peu trop chaotique
Enfin, parlons de la zone “nuit”, c’est là que vous fabriquez votre démo, et vous tirez des cartes Lieux qui vous offrent des bonus… totalement aléatoires. Sur le moment, c’est amusant. Deux tours plus tard, ça commence à frustrer : on a le sentiment de subir plutôt que de contrôler. Il existe bien une action “se coucher tôt” pour devenir premier joueur le mois suivant, mais cela reste limité. La fin de chaque mois laisse donc souvent un petit goût amer.
Encore une boîte de jeu sans aucun système de rangement !
On commence à en avoir l’habitude avec l’éditeur Devir… C’est exactement le même constat qu’avec Le Château Blanc. C’est quand même un comble : il y a une telle quantité de matériel à l’intérieur qu’on a du mal à refermer la boîte si on y met tout en vrac, et malgré ça, aucun insert, aucun sachet, rien. Nada.
Cela dit, une fois qu’on met de côté ce point franchement agaçant (surtout pour un jeu vendu plus de 50 €), le matériel est dans l’ensemble de bonne qualité. On retrouve quelques idées intéressantes, comme les plateaux joueurs en forme d’ampli, attention cependant à ne pas trop serrer les boutons, au risque de ne plus pouvoir les tourner pendant la partie.
Le vrai coup de cœur pour moi, ce sont les billets. Enfin des “faux vrais” billets plaisants à manipuler, avec des petits détails amusants ! Les pions joueurs en acrylique sont également très réussis et donnent un bon rendu sur la table. Le plateau principal aurait mérité d’être un poil plus grand, mais il reste lisible, avec ses deux faces selon le nombre de joueurs.
Petit bémol sur la colorimétrie : les couleurs des prérequis et des gains peuvent prêter à confusion. Pourquoi avoir choisi du noir pour représenter ce qu’on gagne ? Une couleur plus claire (du vert, par exemple) aurait été bien plus intuitive.
Autre détail un peu raté : les interrupteurs pour gérer la drogue… euh, la glycémie. Ils ne sont pas du tout pratiques à manipuler, surtout si vous n’avez pas d’ongles.
Malgré ces erreurs de production, le jeu reste globalement solide. Il faudra tout de même prévoir plus d’une heure pour dépuncher et assimiler les règles.
On n’est pas vraiment sur un jeu expert, mais clairement sur du gros initié +.
Petite mention également pour la couverture du jeu : voilà un excellent exemple de design malin, où le nom du jeu s’intègre parfaitement sans venir gâcher l’illustration de la boîte. C’est assez rare pour être souligné !

Rock Hard 1977 est un jeu qui a de l’attitude. Il ne révolutionne pas les mécaniques de pose d’ouvriers, mais il a ce petit supplément d’âme que peu de jeux osent revendiquer. Ici, on sent une vraie intention, un univers fort et cohérent, qui transpire le rock, la sueur et les galères de musiciens fauchés rêvant de lumière.
Et ça marche. Du moins, au début. Les premières parties séduisent par l’immersion, par cette montée de progression, par la gestion de l’addiction aux bonbons, par les choix de carrière douloureux… Mais assez vite, on se rend compte que les options de jeu se figent, que la stratégie se répète, et que certains éléments de gameplay (comme la zone “nuit”) nous font plus subir que réfléchir.
C’est d’autant plus frustrant que le matériel suit : les billets sont chouettes, les plateaux amplis bien vus, et les pions en acrylique ajoutent une touche de classe. Mais pourquoi toujours faire l’impasse sur un insert ? Pourquoi, à ce niveau de prix, n’avoir pas poussé l’ergonomie jusqu’au bout ?
En résumé, Rock Hard 1977 ne coche pas toutes les cases d’un grand jeu, mais il ne laisse pas indifférent. Il prend des risques, propose un univers rarement exploré dans le monde ludique, et s’appuie sur un thème fort pour offrir une expérience différente. Certes, tout n’est pas parfaitement huilé : la répétitivité s’installe, l’équilibre de certaines mécaniques peut frustrer, et l’édition manque de finitions. Mais malgré tout, il se distingue. Parce qu’il tente autre chose, parce qu’il raconte quelque chose. Et à l’heure où tant de jeux se ressemblent, ce genre de proposition mérite d’exister et d’être essayée.

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